Réseautage dans le secteur scientifique.

La Jeune Académie Suisse met en réseau de jeunes chercheurs de différents disciplines scientifiques. Elle crée un environnement favorisant les échanges inter- et transdisciplinaires et stimule les idées innovatrices. Ses membres jouent un rôle d’ambassadeurs de la place scientifique suisse et sont considérés comme la jeune voix des Académies suisses.

Circuler entre les mondes

Sandra Bärnreuther, experte en anthropologie médicale, a fait ses études à Münster, Heidelberg, New York et New Delhi, mené des recherches dans les laboratoires de grands hôpitaux indiens et étudié les effets de la digitalisation sur les soins de santé dans les régions rurales du Bengale-Occidental. Aujourd’hui, elle enseigne à l’Université de Lucerne. Pour elle, privilégier les regards croisés est important, y compris au sein de la Jeune Académie Suisse, dont elle est membre fondateur.
 

Portrait I Astrid Tomczak

Souvent, ce sont des hasards (supposés) qui orientent notre vie dans une direction que nous n’aurions peut-être jamais prise autrement. En racontant son parcours, Sandra Bärnreuther emploie ce terme à plusieurs reprises. Au moment de choisir ses études, elle savait surtout ce qu’elle ne voulait pas faire : « Les filières telles que la médecine ou l’économie ne m’intéressaient absolument pas », déclare-t-elle. « Lors d’une journée d’information, on m’a parlé de l’ethnologie. J’ai lu le dépliant et me suis dit : oui, c’est ça ! » Sandra Bärnreuther a grandi dans la périphérie de Munich mais ne souhaitait pas rester à la maison pendant ses études ; elle a donc opté pour Münster. Le hasard a alors de nouveau joué en sa faveur : à Münster, les personnes étudiant l’ethnologie (comme s’appelle la discipline là-bas) devaient apprendre une langue extra-européenne. « J’ai choisi l’hindi parce que les cours étaient compatibles avec mon horaire. »  

 

« Ce qui m’intéresse dans la médecine, ce sont les interdépendances globales»

 

Elle a ensuite décidé d’étudier une année à l’Université de Delhi et, une fois rentrée, de poursuivre ses études à Heidelberg, car il y avait là un institut interdisciplinaire spécialisé dans l’Asie du Sud. De plus, sa thématique de prédilection, l’anthropologie médicale, y était enseignée. « Je ne m’intéresse pas uniquement à la pratique clinique de la médecine, mais aussi à la manière dont celle-ci est marquée par les dimensions sociale, politique et économique », explique-t-elle. Elle cite en exemple son projet de doctorat sur la fécondation in vitro (FIV) : « J’ai étudié d’une part la manière dont la FIV est pratiquée et utilisée en Inde et, d’autre part, les conditions historiques dans lesquelles ce secteur a vu le jour. Les interdépendances globales m’ont aussi toujours intéressées », souligne la chercheuse, actuellement professeure assistante à l’Université de Lucerne. Elle s’est donc penchée sur le rôle que l’Inde a joué dans l’émergence de la procréation médicalement assistée  au niveau mondial.

 

Durant son premier séjour, il y a 20 ans, Sandra Bärnreuther s’est rendue dans différentes régions de l’Inde: au Ladakh pour son mémoire de master, dans le nord de l’Inde, puis à New Delhi pour sa thèse de doctorat. À présent, elle effectue des recherches dans le Bengale-Occidental, vers Calcutta. « J’ai donc appris le bengali », déclare-t-elle. C’est important pour son travail également : son projet de recherche actuel porte sur les technologies numériques dans le secteur de la santé indien, notamment dans les régions rurales. « De nombreuses personnes ne parlent pas anglais ; le bengali est donc vraiment indispensable », précise la chercheuse. Elle étudie la manière dont l’introduction de plates-formes numériques permettant de mener des consultations en ligne et d’enregistrer les données médicales transforment le système de santé en Inde. Quel est l’impact de la numérisation sur les relations sociales, par exemple entre les patient·e·s et les médecins ? Quel nouveau rôle joue le personnel de santé local qui utilise ces technologies ? Dans quelle mesure les hiérarchies existantes sont-elles remises en question ou au contraire renforcées ? 

 

« J’ai eu la possibilité, en tant que scientifique, de mener des recherches dans des pays du Sud global. L’inverse se produit bien moins souvent. »

 

Les inégalités sociales constituent un thème central dans son travail, y compris dans la pratique scientifique. « J’ai eu la possibilité, en tant que scientifique, de mener des recherches dans des pays du Sud global. L’inverse se produit bien moins souvent. » En effet, l’idée qu’une scientifique indienne fasse des recherches en Suisse sur la FIV ou les coutumes alpines, par exemple, est plutôt étrangère à la plupart des gens. « À l’Université de Zurich, j’ai participé à un projet dont le but était précisément de permettre à des scientifiques du Sud global de mener des recherches en Suisse. » Malheureusement, le financement reste insuffisant et les exigences en matière de visas compliquent souvent les séjours de ces personnes en Suisse.

 

Elle souhaite que la Jeune Académie Suisse s’ouvre elle aussi à l’international. « L’interdisciplinarité a toujours été très importante pour moi. J’apprécie donc le fait que la Jeune Académie Suisse me permette d’échanger avec de nombreuses personnes issues d’autres disciplines », déclare-t-elle. « Mais je trouve un peu dommage que nous soyons autant axés sur l’Europe. Ce serait bien d’avoir plus de membres extra-européens ou venant du Sud global. »

 

Engagement en faveur de formats d’enseignement innovants

 

Au sein de la Jeune Académie Suisse, Sandra Bärnreuther s’engage actuellement dans un projet consacré aux formats d’enseignement innovants. « Les cours magistraux et les séminaires ont bien entendu leur raison d’être », déclare-t-elle. « Mais il est intéressant d’essayer de nouvelles choses de temps à autre, surtout à la croisée de la science et de la société. L'anthropologie sociale offre de nombreuses perspectives importantes qui ne sont que rarement portées à la connaissance du grand public. » Le groupe de projet souhaite dresser un état des lieux des formats d’enseignement innovants des hautes écoles suisses et permettre au corps enseignant de se mettre en réseau. Il veut aussi encourager les étudiantes et étudiants à développer leurs travaux. Les étudiantes et étudiants qui ont déjà suivi de tels séminaires peuvent soumettre leur candidature en présentant leurs résultats, comme des blogs, des vidéos ou des podcasts, pour participer à un atelier où des spécialistes leur apprendront comment professionnaliser et publier leurs travaux.

 

« Dans le cadre de mon travail scientifique, je vis de la communication et de la coopération avec d’autres personnes. »

 

En parlant avec Sandra Bärnreuther, une chose devient claire : elle ne s’ennuie jamais. Ce qui la fascine encore et toujours dans son travail, ce sont les rencontres avec les gens. « Dans le cadre de mon travail scientifique, je vis de la communication et de la coopération avec d’autres personnes. » Elle dit d’elle-même : « J’ai trouvé le métier de mes rêves, mais je ne peux pas le recommander à tout le monde. » Que veut-elle dire par là ? Elle apprécie notamment la flexibilité, qui peut être perçue comme une contrainte pour d’autres. « Pendant longtemps, j’ai été très mobile. Ce n’est pas possible pour tout le monde. J’ai aussi eu beaucoup de chance. Les conditions de travail dans le domaine de la recherche sont précaires et de nombreuses personnes occupent des postes temporaires. Si je n’avais pas obtenu mon emploi actuel, je ne travaillerais peut-être plus dans le monde académique. » Bien entendu, il faut toutefois plus que du hasard et de la chance pour arriver là où elle est à présent : de la persévérance – et une certaine ténacité? Sandra Bärnreuther hésite avant de déclarer : « De la ténacité ? Oui. » Néanmoins, ce sont surtout les échanges et la collaboration avec des collègues qui ont été d’une importance capitale pour son parcours. Elle souhaite encourager les gens à poursuivre leur voie malgré les obstacles. « Je vois parfois des personnes qui se laissent décourager par des rejets. C’est dommage. »

Une globe-trotteuse bavaroise

 

Sandra Bärnreuther, aînée d’une fratrie de trois enfants, a grandi dans la périphérie de Munich. Elle a d’abord étudié à Münster pendant deux ans puis, après une année à l’Université de Delhi, obtenu son master à Heidelberg. Elle a ensuite reçu une bourse Fulbright pour étudier à l’Université de New York, avant de se rendre de nouveau en Inde pour une année, à l’Université Jawaharlal Nehru à New Delhi. Elle a obtenu son doctorat en 2015 à Heidelberg. Elle a ensuite été maîtresse-assistante à l’Université de Zurich. Depuis février 2020, elle travaille à l’Université de Lucerne, où elle enseigne et mène des recherches en tant que professeure assistante au séminaire d’ethnologie, spécialisée en anthropologie médicale. Dans le cadre de son projet de recherche actuel, elle se penche sur les approches du développement axées sur les données en Inde et au Kenya. La globe-trotteuse a gardé un peu de New York en Suisse : durant son temps libre, Sandra Bärnreuther aime danser le lindy hop.