Portrait I Kalina Anguelova
L’information qu’on consomme est-elle vraie ou fausse? Conduit-elle à une vision biaisée de la réalité chez les individus ? Surtout, comment circule-t-elle? Ces questions fascinent Alexandre Bovet (39 ans), professeur assistant au département de mathématiques à l’Université de Zurich, qui les étudie du point de vue de la science des réseaux. Une spécialité à laquelle il se consacre, fort d’un parcours original puisqu’il s’est d’abord formé en physique, avec un doctorat sur la diffusion des particules dans les plasmas turbulents à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en 2015, pour décider ensuite de prendre une orientation qui accorde plus de place à sa passion pour les mécanismes humains: «Mon doctorat m’a donné la passion de la recherche, mais j’avais envie d'ouvrir mon horizon. J’étais plus intéressé par la diffusion des informations dans notre société que par la diffusion des particules dans du plasma.»
«J’étais plus intéressé par la diffusion des informations dans notre société que par la diffusion des particules dans du plasma.»
Ce sont les rencontres qui vont le mettre sur la voie, lui permettre de ne pas se sentir enfermé dans un sens unique, l’amener vers des scientifiques travaillant sur des domaines plus variés. Leur méthode? Utiliser des outils issus de la physique et des mathématiques pour étudier les nouvelles données provenant d’Internet. L’idée étant de modéliser les composants d’un système complexe et leurs interactions par les nœuds et les liens d’un réseau. Étudier les patterns de connexions de ces réseaux permet de mieux comprendre leur fonctionnement. Une approche qui permet, par exemple, d'analyser les médias sociaux comme X (anciennement Twitter) ainsi que la façon dont l'information et la désinformation se propagent et créent des mécanismes de formation de l’opinion.
Alexandre Bovet tente de décrocher une bourse mobilité postdoctorale du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) pour s’envoler aux États-Unis et se profiler dans le domaine de la science des réseaux. «Avec mon profil de physicien, on me l’a refusée.» Changer d’optique, le passage n’est pas forcément évident dans le monde scientifique: «Il y a d’ailleurs un paradoxe au sein des universités: ces institutions aiment les projets interdisciplinaires, mais elles peinent à recruter des profils pluridisciplinaires. Si j’ai pu aujourd’hui intégrer le département de math à l'Université de Zurich, c’est parce qu’on cherchait un profil pouvant aussi travailler à la Digital Society Initiative, ce qui était mon cas.»
«Comprendre la dynamique de diffusion de l’information sur les réseaux sociaux permet de mieux déceler les fake news et les personnes qui en sont à l’origine.»
2015 sera une année charnière pour le scientifique. Un stage lui servira finalement de tremplin: «J’ai pu étudier à l’EPFZ le réseau social d'une population de souris sauvages. J’ai acquis assez de compétences dans mon nouveau domaine pour finalement décrocher la bourse. J’ai pu ainsi intégrer le Levich Institute du City College of New York où j’ai étudié la diffusion de l'information et la dynamique des opinions dans les réseaux sociaux.» Quand il arrive aux États-Unis, on est en 2016, en pleine campagne présidentielle. Durant les 5 mois qui ont précédé l’élection, son équipe a analysé les 171 millions de tweets parlant de Donald Trump ou de Hillary Clinton. Ils montrent que la diffusion des nouvelles traditionnelles est due à un petit groupe d’utilisateurs, principalement des journalistes, et suit une propagation en cascade, alors que la diffusion des fake news prend place dans des groupes très interconnectés et est le résultat d’un effort collectif. «Comprendre la dynamique de diffusion de l’information sur les réseaux sociaux permet de mieux déceler les fake news et les personnes qui en sont à l’origine.»
Son séjour à New York qu’il qualifie d’«expérience extrêmement intense» se terminera au bout d’une année et demie. «Je voulais retourner en Europe et trouver un rythme un peu plus acceptable.» Si la rencontre d’un professeur le pousse à partir à Bruxelles, fin 2017, c’est l’obtention d’une seconde bourse mobilité du FNS qui concrétisera sa démarche. A l'Université catholique de Louvain, il développe de nouvelles méthodes de science des réseaux pour extraire une description simplifiée de systèmes temporels complexes. Avant de rentrer en Suisse, il fera un séjour postdoctoral en mathématiques des systèmes sociaux et applications aux politiques publiques au Mathematical Institute de l'Université d’Oxford. Actuellement à l’Université de Zurich, il étudie notamment le potentiel et les dangers de l’usage des intelligences artificielles pour vérifier la crédibilité des sources (fact-checking) ainsi que les mécanismes menant à la polarisation croissante des médias sociaux. Il continue également à développer de nouvelles méthodes mathématiques pour analyser les réseaux et leurs dynamiques.
«C'était probablement plus facile d’étudier les sciences et continuer à faire de la musique à côté, plutôt que le contraire.»
Si le parcours Alexandre Bovet est riche, c’est peut-être aussi parce qu’il est ancré dans les ressources familiales. L’amour des sciences lui a été transmis par son oncle, spécialiste de la physique des plasmas. «Mais, c’est le soutien inconditionnel de mes parents qui m’a encouragé à m’inscrire en physique à l’EPFL.» Et, il avoue: «Ce n'était pas forcément ce qui m'intéressait le plus, mais c'était le domaine où j'avais le plus de facilité.» Un moment, il hésite entre étudier la musique - la batterie - ou la physique. «C'était probablement plus facile d’étudier les sciences et continuer à faire de la musique à côté, plutôt que le contraire.»
Ce qui lui plaît aujourd’hui à la Jeune Académie Suisse? «J’aime cette idée de pouvoir participer à des projets orientés sur le monde scientifique.» Sensible aux questions d’inégalités, il a rejoint en 2020 un projet qui focalise sur les inégalités et les conditions de travail précaires dans le monde académique. Le but est d’améliorer la culture universitaire. «On connaît principalement les inégalités de genre. Mais, il existe d’autres formes d’inégalités dont on parle très peu dans le monde académique suisse, comme celles liées aux milieux socio-économique, ou au racisme.» L’année prochaine, le chercheur veut s’engager dans un autre projet qui vise à créer un podcast destiné à établir un lien avec un jeune public et à l'inciter à réfléchir sur des sujets liés aux défis sociétaux actuels, en tenant compte des perspectives de la science et de la société. «Si j'avais eu plus d'informations et une meilleure compréhension de ce qui m'intéressait vraiment, je me serais probablement orienté plus rapidement vers un doctorat qui est dans mon domaine actuel. D’où, l’importance de bien communiquer sur les sciences.»
(Depuis 2022) Professeur assistant en science quantitative des réseaux au département de mathématiques à l’Université de Zurich
(2022) Membre de la Digital Society Initiative
(2021) Prix du meilleur membre du comité de programme de l’International Conference on Web and Social Media (ICWSM)
(2020 - 2022) Post-doc à l'Université d’Oxford, en mathématiques des systèmes sociaux et applications aux politiques publiques
(2017 - 2020) Post-doc à l'Université catholique de Louvain et au Namur Center for Complex Systems/Mathematical Institute de l'Université d’Oxford, travail sur les réseaux temporels
(2016 - 2017) Post-doc au City College of New York, aux États-Unis, étude de la diffusion de l'information et la dynamique des opinions dans les réseaux sociaux
(2015 - 2016) Post-doc à l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), étude de l'organisation sociale d'une population de souris sauvages (y compris la propagation des maladies)
(2015) Doctorat en physique sur le transport des particules dans les plasmas turbulents, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)
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