Réseautage dans le secteur scientifique.

La Jeune Académie Suisse met en réseau de jeunes chercheurs de différents disciplines scientifiques. Elle crée un environnement favorisant les échanges inter- et transdisciplinaires et stimule les idées innovatrices. Ses membres jouent un rôle d’ambassadeurs de la place scientifique suisse et sont considérés comme la jeune voix des Académies suisses.

Le cinéaste qui danse avec les abeilles

Son grand modèle est le réalisateur et naturaliste David Attenborough, sa passion les abeilles. Robbie I’Anson Price, biologiste, cinéaste et membre de la Jeune Académie Suisse.
 

Portrait | Astrid Tomczak

Parfois, il réfléchit longtemps avant de répondre. Si longtemps que l’intervieweuse craint d’avoir peut-être touché à un sujet tabou ou de s’être mal exprimée en anglais. Mais il n’en est rien. Robbie I’Anson Price n’est simplement pas quelqu’un qui tient des propos irréfléchis et futiles. Il se préoccupe de l’état de notre planète tout comme de la manière dont nous pouvons la préserver. Des causes de la migration et de la misère. Brièvement formulée sa réponse est la suivante : moins de consommation et d’avidité, une meilleure formation pour tous. Dans son CV, le trentenaire est plus précis. « Je m’efforce d’être honnête, juste et bon. Dans chacun de mes projets, j’ambitionne de créer quelque chose qui a de la valeur pour le monde, qui a un aspect éducatif, est inspirant ou apporte de la joie.» Super ! Un bienfaiteur ambitieux donc ? 

 

Le jeune homme dégingandé assis devant son ordinateur portable dans un café au 5e étage d’un supermarché lausannois n’a pas l’air d’un exalté qui se bat pour conquérir le monde avec ses propositions d’amélioration. Plutôt d’un enfant étonné et curieux qui a soif de savoir ce qui peut encore arriver.

 

Robbie I’Anson Price a grandi à Blackpool, dans le nord de l’Angleterre, une destination de vacances appréciée des classes populaires depuis plus d’un siècle. « Il n’y avait pas particulièrement de bonnes écoles à Blackpool, souligne-t-il. J’ai fréquenté un de ces établissements de qualité moyenne. Mais mon environnement familial était favorable. » Ses parents l’ont souvent emmené en excursion dans la nature avec son frère et sa sœur. Robbie a passé des heures dans le jardin à observer des insectes. Il a étudié la zoologie à Manchester. Il ne savait pas trop ce qu’il allait faire après son bachelor, jusqu’à ce que sa mère institutrice lui parle un jour d’un collègue ayant enseigné et bien gagné sa vie en Corée du Sud. Une opportunité qui pourrait lui permettre de financer la poursuite de ses études. Robbie est ainsi devenu temporairement professeur d’anglais en Corée du Sud. « Parfois ce sont de tels épisodes qui donnent une direction à une vie, relève le biologiste. Sans ce séjour, je n’aurais peut-être jamais décroché un master. » Après deux ans, il est revenu et a suivi des études de master en écologie et évolution à l’Imperial College de Londres où il a découvert sa passion pour les abeilles. « Un dimanche après-midi de farniente, j’ai vu chez une amie un livre sur la sociologie des abeilles mellifères. J’ai commencé à le lire et j’ai eu envie de travailler avec les abeilles. » Il a donc cherché un peu partout un poste pour effectuer un doctorat et il en a trouvé un à Lausanne. « Un rêve s’est réalisé », lance-t-il, en évoquant des voyages en France pour acheter des abeilles mellifères. « Nous étions assis dans la voiture dans nos tenues d’apiculteurs. C’était assez excitant. »

« Nous étions assis dans la voiture dans nos tenues d’apiculteurs. C’était assez excitant. »

 

Le doctorant était passionné par sa thèse. Il avait toutefois parfois des sautes d’humeur et avait du mal à quitter son lit. Il a alors découvert la réalisation de films « Pour tourner un film, je devais me lever », dit-il. Cet épisode a donné une fois encore une nouvelle orientation à sa vie. Dans une de ses premières réalisations où il jouait le premier rôle, il a intégré ses connaissances scientifiques dans un scénario romantique et ludique inspiré de Cendrillon. Le monde des contes de fées, c’est ce qui lui plaît.  « J’aime les comédies musicales », avoue-t-il, et il raconte comment il a récemment confié à un ami qu’il ne serait jamais capable de créer de telles œuvres artistiques. « Tu dois mieux collaborer avec les autres », lui a alors répondu cet ami. Depuis, il réfléchit à cette phrase. « Pour des raisons de pure commodité, je suis plutôt un combattant solitaire. Lorsque je travaille seul sur un film, j’ai un résultat à l’issue d’un week-end. » Grâce à la Jeune Académie, il pourrait néanmoins devenir un joueur d’équipe. Et c’est volontiers qu’il s’engagerait avec d’autres membres dans un projet centré sur la formation et l’innovation. « Tout commence par une bonne éducation pour tous. L’inégalité cause tellement de problème environnementaux, conduit à des mouvements migratoires. » Robbie s’emballe, puis s’interrompt. « Cela mène trop loin », affirme-t-il. Mais un message est important pour lui. Il est résumé dans le 12e objectif de développement durable de l’ONU « Établir des modes de consommation et de production durables ». Selon lui, cet objectif est atteignable si nous réduisons notre course au profit. 

 

Le jeune homme s’est rapidement rendu compte que filmer pouvait devenir davantage qu’un hobby. En 2018, il a gagné avec un ami le premier prix du concours « Eco Comedy Film Competition », grâce à la satire produite en 24 heures d’un show américain à succès (me and Tweets). Dans ce film, le twitteur@humanity est confronté à des tweets envoyés de la Terre, des océans ou des espèces menacées et est encouragé à réviser son opinion. Grâce à un subside AGORA du FNS, Robbie I’Anson Price a organisé ces dernières années 10 «Exposure Science Film Hackathons», événements au cours desquels des chercheurs et chercheuses réalisent en trois jours des courts-métrages qui sont ensuite présentés dans des cinémas de toute la Suisse. « Il ne s’agit pas seulement de transmettre des connaissances mais aussi de pousser les gens à agir », fait-il valoir. Le jeune scientifique est aujourd’hui responsable à l’Université de Genève de l’ensemble du projet SciFilmIt. « Mes abeilles me manquent beaucoup, mais je suis aussi content d’avoir quitté le monde purement académique », déclare-t-il.

«Il ne s’agit pas seulement de transmettre des connaissances mais aussi de pousser les gens à agir»

 

Son contrat est limité jusqu’à l’été prochain. Il a ensuite de grands projets, par exemple faire le tour du monde en quatre-vingts jours, comme l’a effectué le journaliste de la BBC Michael Palin en s’inspirant du roman de Jules Verne. Si le coronavirus l’en empêche, il a un autre rêve : « Je veux raconter des histoires en lien avec la science. Trouver un job qui me le permette serait formidable. » Son grand modèle dans ce domaine est David Attenborough, le célèbre naturaliste et réalisateur anglais de films animaliers. « En tant que cinéaste, je me sens un peu comme un intrus », note-t-il. Il sait pourtant que c’est sa voie : jeter des ponts entre le monde complexe de la science et la société. Egalement avec l’aide de la Jeune Académie Suisse. 

 

Biographie

Robbie I’Anson Price est né en 1987 à Blackpool (UK). Il a étudié la zoologie à l’Université de Manchester, enseigné pendant deux ans l’anglais en Corée du Sud, puis obtenu son master en «  Ecology, Evolution and Conservation » à l’Imperial College de Londres. Sa thèse de doctorat est consacrée aux abeilles mellifères, mais il a aussi mené des recherches sur les abeilles sans dard et effectué des études de terrain sur elles au Brésil. Robbie I’Anson Price a une grande expérience dans le domaine de la communication scientifique, notamment à destination des enfants. Ces dernières années, il s’est davantage voué à la réalisation de films et au storytelling. Il dirige à l’Université de Genève le projet SciFilmIt qui réunit scientifiques et cinéastes.