Réseautage dans le secteur scientifique.

La Jeune Académie Suisse met en réseau de jeunes chercheurs de différents disciplines scientifiques. Elle crée un environnement favorisant les échanges inter- et transdisciplinaires et stimule les idées innovatrices. Ses membres jouent un rôle d’ambassadeurs de la place scientifique suisse et sont considérés comme la jeune voix des Académies suisses.

Elle recommande un « vaccin contre la désinformation »

À l’occasion de la remise du Prix Média et du Prix Média Newcomer, la Jeune Académie Suisse organise le 29 septembre une table ronde sur le thème « Fake news et théories du complot », en collaboration avec les Académies suisses des sciences. Sabrina Heike Kessler, co-organisatrice, explique dans cet entretien comment la recherche peut réagir face aux fake news.
 

Entretien | Astrid Tomzcak

Sabrina Heike Kessler, quand vous êtes-vous fait avoir pour la dernière fois par une « fake news » ?

Je ne suis jamais tombée dans le panneau, mais j’en trouve régulièrement – aujourd’hui même, d’ailleurs (18 août 2022, ndlr). Une collègue a partagé sur Twitter un gros titre du journal Weltwoche, qui prétendait que le vaccin contre le coronavirus était probablement responsable de la diminution des naissances observée cette année. Cet exemple illustre la manière dont un journal à l’apparence sérieuse diffuse des informations non vérifiées.

 

Cela peut être relativement simple à réfuter. Mais qu’en est-il des « fake news » moins évidentes ?

En effet, tout ne peut pas être vérifié aussi facilement. La guerre en Ukraine est un bon exemple : dans ce cas, je dois croire ce qu’écrivent les journalistes car je ne suis pas sur place et ne connais aucun témoin oculaire. Bien sûr, des « fake news » peuvent alors être diffusées mais, si elles ne sont pas réfutées, je ne le saurai jamais.

 

« La première victime d’une guerre, c’est la vérité » est une expression courante à ce sujet. Qu’en est-il toutefois des informations portant sur des sujets scientifiques ?

Dans les domaines scientifique et de la santé, de nombreuses connaissances ne sont pas prouvées. Lorsqu’elles sont diffusées en tant que faits, la question se pose de savoir s’il s’agit de désinformation, c’est-à-dire de la propagation délibérée d’une fausse information dans le but de nuire, ou « juste » d’ignorance.

 

« Quand une fausse information se répand, elle finit par s’ancrer dans l’esprit des gens et il devient très difficile de l’en sortir. »

 

Vous êtes notamment la porte-parole du projet « COVID-19 et fake news » de la Jeune Académie Suisse. Comment ce projet permet-il aux gens de se protéger contre les théories du complot ?

Il faut tout d’abord différencier les théories du complot et la désinformation. La définition de cette dernière est moins large et concerne des sujets concrets tels que le coronavirus ou la guerre en Ukraine. Bien évidemment, les complotistes sont souvent réceptifs à la désinformation. Toutefois, si une personne se fait une fois avoir par une fausse information, cela ne veut pas dire qu’elle est forcément complotiste. Dans la lutte contre la désinformation, on fait la différence entre le pre-bunking et le debunking. Le debunking consiste à agir lorsque l’information a déjà été diffusée et qu’il est trop tard pour faire marche arrière. Quand une fausse information se répand, elle finit par s’ancrer dans l’esprit des gens et il devient très difficile de l’en sortir. Une explication ultérieure est alors nécessaire, par exemple au moyen de textes journalistiques professionnels de debunking qui réfutent explicitement une fausse information spécifique. Une autre stratégie consiste à réguler la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux ou à marquer celles-ci en tant que telles au moyen d’indications explicites. Ce qu’on appelle le pre-bunking est toutefois plus efficace : il s’agit pour ainsi dire d’un vaccin contre la désinformation.

 

Comment fonctionne un vaccin de ce genre ?

En renseignant de manière générale sur la désinformation et les stratégies de communication employées à cet effet. Des connaissances sont toutefois nécessaires pour effectuer ce travail. Elles sont acquises dans le cadre de recherches ou de projets tels que celui de la Jeune Académie Suisse. Quelles « fake news » sont diffusées ? Pourquoi certaines d’entre elles se propagent et d’autres pas ? Pourquoi certaines personnes sont plus réceptives à ces fausses informations que d’autres ? Quels rôles jouent la littératie, les réseaux sociaux, les canaux d’information en général et l’utilisation des médias ? Grâce à ces projets, il est possible d’obtenir des réponses à ces questions. Ces connaissances permettent de développer des stratégies de pre-bunking. Par exemple, si l’on sait que les anti-vaccins utilisent toujours les mêmes arguments, on y est alors préparé et, cela a été prouvé, moins vulnérable la prochaine fois que l’on tombe sur ce genre d’informations. L’affirmation selon laquelle les vaccins contiennent du poison existait déjà avant le coronavirus et visait d’autres vaccins.

 

La pandémie de coronavirus a justement montré à quel point une communication claire des contenus scientifiques est importante. Quelle contribution les sciences de la communication apportent-elles à cet égard ?

Les sciences de la communication ont pour but d’étudier les structures, les mécanismes et les effets d’une communication efficace. Mais cela ne s’arrête pas là : elle a également pour mission d’examiner de manière critique la mise en œuvre pratique de ces connaissances. Elle analyse donc la communication et le journalisme scientifiques, les évalue et en tire des enseignements. Elle se penche par exemple sur la manière dont certains groupes cibles sont atteints ou quels communicateurs et communicatrices étaient particulièrement visibles.

 

« Il devient alors évident que le journalisme scientifique coûte cher parce qu’il demande un énorme travail de recherche »

 

Le journalisme scientifique ne sert-il pas simplement de porte-parole aux chercheurs et chercheuses ?

Le journalisme scientifique a notamment l’objectif clair de trier les connaissances scientifiques et de les vulgariser. Mais en effet, la question se pose de savoir comment cela peut être renforcé. J’espérais que la pandémie de coronavirus y contribuerait, car son importance était alors devenue très claire. Le grand public, et même le monde politique, auraient dû comprendre à quel point il est essentiel d’avoir des personnes compétentes et formées. Afin d’illustrer cette importance, je raconte souvent une petite histoire : en prenant l’exemple du débat sur le vaccin contre la rougeole et l’autisme, je présente le travail de recherche à réaliser pour vérifier une information de manière vraiment fiable. Je montre combien d’études il faut lire et comprendre et explique qu’il faut aussi vérifier qui sont les auteur·e·s de celles-ci ainsi que les personnes ayant soutenu ces recherches. Je parle également pendant une demi-heure de tout ce que l’on doit contrôler afin de pouvoir déterminer que l’information selon laquelle le vaccin contre la rougeole serait lié à l’autisme est une « fake news ». En conclusion, je dis toujours : « vous n’avez pas besoin de faire tout ce travail car les journalistes scientifiques le font pour vous. » Il devient alors évident que le journalisme scientifique coûte cher parce qu’il demande un énorme travail de recherche.

 

Vous êtes aussi membre fondatrice de la Jeune Académie Suisse. Quelle contribution cette jeune voix peut apporter au dialogue entre la science et la société afin de lutter contre les « fake news » ?

La Jeune Académie Suisse a fait de la promotion du dialogue entre la science et le grand public l’une de ses missions. Dans le cadre du projet consacré au COVID-19 et aux « fake news », nous nous penchons sur la diffusion générale d’informations scientifiques erronées à l’appui d’un thème d’actualité. Nous avons employé différents formats à cet effet, notamment des ateliers de co-création et une enquête auprès de la population. Nous réalisons à présent un sondage Delphi avec des spécialistes et organisons une table ronde à ce sujet dans le cadre du Prix Média. Il s’agit, d’une part, d’établir un contact entre les jeunes scientifiques et la société et, d’autre part, de vulgariser les recherches ainsi que de communiquer les résultats de celles-ci de manière compréhensible. Les membres de la Jeune Académie Suisse s’investissent considérablement à cet effet par le biais d’autres projets également.

Glossaire

 

Fausse information = information erronée qui peut être vérifiée et réfutée en analysant les faits.

 

Désinformation = fausse information qui est diffusée avec l’intention délibérée de tromper le public.

 

Mésinformation = fausse information qui est diffusée sans intention délibérée de tromper le public.

 

Fake news = fausses informations diffusées sous forme d’articles journalistiques.

 

Théories du complot = explications alternatives concernant des événements, des processus, des situations ou des actions se rapportant à des individus ou des groupes qui agiraient en secret et, la plupart du temps, poursuivraient l’objectif d’acquérir ou de conserver le pouvoir en utilisant certains moyens (illégaux).

Biographie

Sabrina Heike Kessler (née en 1986) est, depuis août 2017, senior researcher et teaching associate à l’Institut des sciences de la communication et de la recherche sur les médias (Institut für Kommunikationswissenschaft und Medienforschung) de l’Université de Zurich. Elle est membre fondatrice de la Jeune Académie Suisse et porte-parole du projet « Que nous apprennent les fake news sur le COVID-19 au sujet de la diffusion de fausses informations scientifiques en général ? ». Elle a étudié les sciences des médias (discipline principale), la germanistique (discipline secondaire) et la psychologie (discipline secondaire) à l’Université Friedrich Schiller d’Iéna, où elle a également effectué un doctorat en sciences de la communication. Ses domaines d’expertise sont notamment la communication scientifique et en matière de santé ainsi que son impact. Son fils de trois ans occupe actuellement l’essentiel de son temps libre, « durant lequel j’essaie de répondre à ses 50 à 100 questions du ‹ pourquoi › et du ‹ comment › de la manière la plus simple possible », dit-elle en riant.