Réseautage dans le secteur scientifique.

La Jeune Académie Suisse met en réseau de jeunes chercheurs de différents disciplines scientifiques. Elle crée un environnement favorisant les échanges inter- et transdisciplinaires et stimule les idées innovatrices. Ses membres jouent un rôle d’ambassadeurs de la place scientifique suisse et sont considérés comme la jeune voix des Académies suisses.

« Je n’aime pas ne rien faire » 

A 24 ans, elle a déjà un parcours de vie qui donne le tournis. A peine après avoir passé en Suisse l’examen fédéral de médecine, elle a réitéré l’exercice au Canada. Mey Boukenna, membre de la Jeune Académie Suisse.
 
Auteur | Astrid Tomczak

Mey Boukenna, vous avez été intégrée au sein de la Jeune Académie Suisse au mois de mai et vous venez maintenant de décrocher une bourse de l’Académie Suisse des Sciences Médicales pour effectuer un doctorat. Tout paraît toujours aller bien pour vous. Cette impression est-elle exacte ?

(Rires). Je me suis beaucoup réjouie des bonnes nouvelles reçues cette année. J’aime faire beaucoup de choses en parallèle et j’apprécie le changement. Cela a toujours été le cas. J’ai fréquenté l’école enfantine en allemand, puis l’école primaire en français et ensuite le gymnase en allemand et en anglais. A quinze ans, j’ai toutefois aussi eu envie de passer le baccalauréat français que j’ai obtenu une année avant la maturité, ce qui montre à quel point le système scolaire suisse est bon. Je suis par ailleurs membre active de la Fondation suisse d’études et j’ai aussi fait partie pendant quelques années de la Croix-Rouge Jeunesse. Je n’aime pas ne rien faire

 

On pourrait aussi dire que vous ne supportez pas l’oisiveté.

Peut-être. J’ai pris mon dernier long congé, un mois, à l’issue de ma deuxième année d’étude. Après environ deux semaines, j’ai commencé à élaborer une plateforme Internet pour faciliter les voyages en groupes dans des destinations lointaines et exotiques. Mais cela n’a pas fonctionné. J’ai investi beaucoup de temps dans la mise sur pied d’un site internet, j’ai aussi cherché des conseils juridiques et j’ai finalement échoué au niveau du marketing. Une bonne idée ne sert à rien si elle ne parvient pas jusqu’à la clientèle.

 

Qu’avez-vous appris de cette expérience ?

Que je devrais investir plus de temps pour des projets futurs, afin de mettre sur pied une équipe, de planifier et d’effectuer une analyse des besoins. C’est pourquoi j’apprécie beaucoup d’être membre de la Jeune Académie. Nous pouvons dans ce cadre réunir nos forces pour lancer des projets intéressants, avec une équipe de personnes aux expertises et aux perspectives variées.

 

Qui vous a particulièrement marquée jusqu’ici dans votre parcours ?

Ma mère, c’est certain. Elle est médecin, chercheuse et ma meilleure mentore. Et aussi mon père qui est cardiologue. Il m’a sûrement transmis sa passion pour cette discipline. Je les admire beaucoup tous les deux. Ils voulaient toutefois que j’explore également d’autres options que la médecine avant de me fixer (rires). Pendant mes études, de nombreux professeur·e·s m’ont marquée. Un principe important qui m’accompagne et que j’ai appris du prof. Marcel Tanner est combien il est essentiel pour mener à bien un projet d’échanger avec les personnes concernées et de répondre à leurs besoins subjectifs.

 

Quelles sont les qualités que vous admirez particulièrement chez votre mère ?

Sa capacité d’analyse, son ouverture et sa ténacité.

 

Etre une femme dans le monde scientifique est-il un avantage ou un inconvénient ?

(Elle réfléchit longuement). Ni l’un ni l’autre. Je suis sans doute trop jeune et n’ai pas suffisamment d’expérience pour répondre à cette question. Le haut du pavé dans le monde de la science est dominé par les hommes et il y a aussi beaucoup moins de professeures. Personnellement, je n’ai pas ressenti jusqu’ici le fait d’être femme comme un obstacle. Mais j’apprécierais vraiment d’avoir davantage de professeures.

 

Dans votre lettre de motivation pour intégrer la Jeune Académie, vous avez notamment souligné à quel point l’« open access » était important pour vous. Vous affirmez que la recherche ne devrait pas seulement être librement accessible au niveau académique mais aussi de la société dans son ensemble. Comment cela doit-il se passer ?

L’idée n’est pas du tout nouvelle. Au XVIIIe siècle, le chimiste Antoine Lavoisier présentait déjà ses expériences devant un large public et ces gens devaient comprendre en gros ce qu’il faisait. Il est important que des profanes comprennent ce qui anime la science. C’est pourquoi j’aimerais mener un projet dans ce sens au sein de la Jeune Académie. Mon idée serait que des doctorants et doctorantes publient une version vulgarisée de leur travail de recherche sur une plateforme largement accessible, et ceci dans des formats très variés, par exemple une vidéo ou un « science slam ». Une telle plateforme encouragerait également les échanges entre les chercheurs et chercheuses.

 

« J’aime faire beaucoup de choses en parallèle et j’apprécie le changement. Cela a toujours été le cas. »

 

Du fait de la pandémie de coronavirus, la science est présente comme rarement jusqu’ici sur la place publique. Beaucoup de personnes ont néanmoins l’impression que les scientifiques se contredisent sans cesse. Ne s’agit-il pas d’une image déformée ?

Non. Il existe effectivement des controverses dans la plupart des domaines de recherche, ce qui permet aussi de faire avancer les connaissances. Je pense que la pandémie a permis aux gens de comprendre comment la science fonctionne et ce qu’elle accomplit. D’un autre côté, les scientifiques apprennent ainsi que les gens veulent connaître les bases sur lesquelles des décisions politiques sont prises. Je suis fondamentalement d’avis que les scientifiques devraient sans cesse se demander comment expliquer aux profanes leurs recherches et l’utilité qu’elles ont.

 

Vous avez déjà esquissé quel projet concret vous vouliez mettre en œuvre avec la Jeune Académie. Quel objectif fondamental souhaitez-vous atteindre avec elle ?

Il s’agit tout d’abord de donner une assise à la Jeune Académie en Suisse. Nous sommes d’un côté la voix des jeunes chercheurs et chercheuses. Et d’un autre côté, nous pouvons aussi porter au sein du monde scientifique les aspirations de la jeune génération en général. Un objectif est également de montrer à quel point la science peut être ouverte, comment de nombreux acteurs différents y apportent leur contribution et que des gens moins bien établis ont aussi quelque chose à dire.

 

Quels sont les trois adjectifs que vous utiliseriez pour vous caractériser ?

Passionnée, persévérante et curieuse.

Biografie

Mey Boukenna est née en 1996 et a grandi à Bâle, où elle vit toujours aujourd’hui. Cette jeune trinationale (Algérie, Suisse, Canada) est bilingue (allemand, français). Elle a étudié la médecine à Berne et bénéficie depuis septembre d’un programme pour doctorant·e·s soutenu par l’Académie Suisse des Sciences Médicales. Elle a auparavant déjà obtenu une bourse de la « Stiftung zur Förderung medizinischer und biologischer Forschung » pour sa thèse de doctorat à la Harvard Medical School ainsi que des subsides de la Fondation suisse d’études pour un stage clinique en soins intensifs au Vancouver General Hospital. Elle a aussi participé à de nombreuses manifestations de la Fondation suisse d’études, notamment l’académie d’hiver en Tanzanie sur le thème « Planning for Health ». Toujours dans le cadre de la Fondation d’études, elle a organisé avec Oceane Pomini un séminaire de médecine légale et de droit médical. A côté de la médecine, elle s’intéresse aux questions juridiques, éthiques et économiques. Elle joue volontiers au tennis et est un vrai poisson : « Je peux passer trois heures dans la mer », dit-elle en riant.